PARIS, FRANCE – LAÏCITÉ : UNE NOUVELLE DISCRIMINATION ?
Dans le cadre de la loi sur l’économie sociale et solidaire, les associations vont dorénavant pouvoir posséder des « biens de rapport ». Toutes les associations sauf… les cultuelles.
Jusqu’à présent, les associations peuvent acquérir et administrer les locaux strictement nécessaires à l’accomplissement du but qu’elles se proposent. Peuvent seulement recevoir des libéralités (donations ou legs) les associations reconnues d’utilité publique, ou ayant pour but exclusif soit l’assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale, soit l’exercice d’un culte.
Les associations et les « biens de rapport »
Le Parlement est en train de voter une importante loi relative à l’économie sociale et solidaire. Outre un ensemble de mesures destinées à conforter les institutions qui relèvent de ce secteur, la loi comporte également des dispositions générales relatives au droit des associations. La plus emblématique d’entre elles autorise les associations déclarées depuis trois ans au moins à accepter les libéralités et à posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit, y inclus les biens de rapport.
Cette disposition est présentée dans l’étude d’impact comme visant à « l’allègement de contraintes actuellement imposées à certaines familles d’acteurs ». L’exposé des motifs indique que « ces restrictions apportées historiquement au droit des associations par la loi de 1901 paraissent désormais obsolètes et ne reflètent pas la réalité des besoins et des services rendus par beaucoup d’associations. […] L’article autorise désormais ces associations à recevoir à titre gratuit et à gérer des immeubles de rapport. Ces dispositions ont pour objet de renforcer les fonds propres de ces associations ».
Bien que cela ne soit pas signalé, il importe de relever que cet élargissement de la capacité des associations dont le siège est situé en France « de l’intérieur » (par opposition aux départements d’Alsace et de Moselle) les mettra à égalité avec la capacité des associations régies par le droit local. L’on ne peut donc que souligner le caractère unificateur d’une telle mesure.
A priori, on pourrait croire que ce projet devrait concerner les associations cultuelles, puisque la loi du 9 décembre 1905 (titre IV) dispose notamment que « les associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants du titre Ier de la loi du 1er juillet 1901 ». C’est dire que ces dispositions devraient concerner toutes les associations.
Associations cultuelles exclues
Outre la simplification des dispositions testamentaires et l’atténuation des dépenses immobilières, de plus en plus lourdes pour les associations, ces dispositions permettent aussi d’adapter le droit à la réalité : sans être d’importants propriétaires fonciers, les associations cultuelles peuvent se trouver propriétaires de logements inutilisés pour leur objet statuaire exclusif, que ce soit de manière constante – un seul logement occupé comme presbytère quand l’immeuble comprend deux logements – ou temporaire – par exemple pour un presbytère provisoirement vacant.
Malheureusement, ces nouvelles mesures sont réservées aux associations « dont l’ensemble des activités est mentionné au b du 1 de l’article 200 du code général des impôts », soit celles ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel… Or les associations cultuelles sont mentionnées au « e » du même article 200 du code général des impôts, et non au « b ». À travers ce qui semble n’être qu’un détail technique, elles sont donc exclues de cette nouvelle capacité de recevoir des immeubles de rapport, de même d’ailleurs que celles régies par la seule loi du 1er juillet 1901 mais comportant un objet cultuel.
Sans motivation explicite
En l’absence de toute motivation explicite, il importe de se demander comment pourrait être expliquée une telle exclusion.
Serait-ce l’exigence d’être un « organisme d’intérêt général » ? Ce serait méconnaître l’avis du Conseil d’État du 15 mai 1962, rendu sur une question fiscale (la possibilité de déduire de l’impôt sur le revenu une partie des dons aux associations cultuelles). Et plusieurs arrêts récents du Conseil d’État ont montré qu’il était possible de concilier le respect des principes de la loi du 9 décembre 1905 et les activités organisées par des associations cultuelles lorsqu’elles répondent à un intérêt public local ou régional.
Serait-ce l’objet statutaire « exclusivement » cultuel inscrit à l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 ? Mais ce type d’association n’est pas le seul à avoir un objet social « exclusif » fixé par la loi : tel est le cas également, par exemple, des associations « ayant pour but exclusif l’assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale », dont l’existence est d’ailleurs rappelée dans l’exposé des motifs cité ci-dessus.
Non seulement ces associations seront au bénéfice de la nouvelle disposition, mais une disposition dérogatoire supprime pour elles toute condition d’ancienneté. Le caractère « exclusif » d’une activité ne saurait donc justifier une telle exclusion.
Laïcité, liberté, égalité
Ainsi donc, de toutes les associations jusqu’à présent autorisées à recevoir des libéralités, seules les associations cultuelles se trouvent exclues du nouveau dispositif relatif aux immeubles de rapport : aucune justification n’est donnée de cette discrimination.
En outre, alors que cette disposition réduit les différences entre les divers régimes associatifs en France, elle maintient les différences entre les associations cultuelles régies par la loi de 1905 et les associations d’Alsace-Moselle de droit local ayant un objet cultuel.
L’attachement des protestants à la laïcité est bien connu. Les protestants sont de loin les plus nombreux «utilisateurs » de cette forme de groupement : environ 2 500 associations cultuelles protestantes sur un nombre total de l’ordre de 4 000 associations cultuelles.
C’est son souci de respecter pleinement le cadre législatif qui a poussé, ces derniers mois, la Fédération protestante de France à attirer l’attention des pouvoirs publics sur des dispositions qui accroîtraient les contraintes nées de son obéissance à la loi. Elle l’a fait dans la discrétion.
Or ses interventions, auprès des ministres concernés, puis du premier d’entre eux et enfin de plusieurs législateurs, sont demeurées vaines – ni motivation, ni modification – comme si le projet participait, sur ce point, à la volonté de profiter d’une loi généralement (et à juste titre) appréciée pour limiter discrètement la liberté et les moyens de quelques associations.
Une telle discrimination n’est conforme ni au principe d’égalité devant la loi des citoyens et de leurs groupements ni à la garantie du libre exercice des cultes, inscrite à l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905.
Source : FPF/Jean-Daniel Roque/BIA